A un mois de l’ouverture traditionnelle sur le glacier de Rettenbach, le ski alpin masculin présente un paradoxe saisissant. D’un côté, une domination helvète incarnée par Marco Odermatt qui défie les lois de la régularité depuis quatre saisons. De l’autre, un paysage bouleversé par les absences et les incertitudes, créant des opportunités inédites dans un sport réputé pour ses hiérarchies immuables.

La machine Odermatt face au vide norvégien

Marco Odermatt aborde cette saison 2025-2026 avec le statut particulier de l’homme à battre, fort de son quatrième titre consécutif au général. Le Suisse de 27 ans a métamorphosé le ski alpin moderne par sa polyvalence, dominant le géant avec une régularité chirurgicale tout en s’imposant comme une référence en super-G. Cette hégémonie pose néanmoins une question lancinante : qui peut encore le défier ? L’absence programmée d’Aleksander Kilde prive le circuit de son antagoniste naturel en vitesse. Le Norvégien, contraint de déclarer forfait pour l’intégralité de la saison après les complications de sa blessure de Wengen, laisse un vide béant dans les disciplines de vitesse. Cette défection redistribue les cartes dans un secteur où la Norvège comptait sur son fer de lance pour contrebalancer l’influence suisse. Henrik Kristoffersen demeure le principal contradicteur d’Odermatt, particulièrement en slalom où sa technique cristalline continue de faire référence. Le Norvégien de 30 ans incarne cette génération intermédiaire, suffisamment expérimentée pour résister aux assauts de la nouvelle vague tout en conservant l’explosivité nécessaire pour inquiéter le maître suisse.

Disciplines sous surveillance

En géant, Odermatt règne avec une autorité qui confine à la monotonie pour le spectacle, mais force l’admiration pour la perfection technique. La concurrence s’organise autour de quelques irréductibles : Kristoffersen, capable de coups d’éclat, l’Autrichien Manuel Feller, toujours prompt à enflammer son public, et la jeune garde menée par Alexander Steen Olsen, révélation norvégienne de la saison passée. Le slalom offre un terrain de jeu plus ouvert. Si Kristoffersen conserve sa légitimité de patron, l’émergence de nouveaux talents européens maintient l’incertitude. La discipline technique pure résiste mieux à l’uniformisation des performances, préservant cette part d’imprévisibilité qui fait le sel des portes étroites. Les disciplines de vitesse traversent une zone de turbulences inédite. L’absence de Kilde ouvre un boulevard aux prétendants, mais révèle aussi la relative faiblesse du plateau actuel. Les Suisses comptent sur leur collectif pour compenser le départ de Beat Feuz, tandis que l’Autriche espère retrouver ses fondamentaux dans des épreuves où elle a longtemps dicté sa loi.

Nations en recomposition

La Suisse entre dans cette saison avec une confiance raisonnée. Au-delà d’Odermatt, la fédération peut compter sur une génération dorée qui a su conjuguer formation méthodique et culture de la performance. Cette profondeur d’effectif constitue un atout décisif dans la course aux Nations. L’Autriche vit une période de transition délicate. Privée de ses figures tutélaires en vitesse, elle mise sur un renouvellement générationnel dont les contours restent flous. Manuel Feller porte une part importante des espoirs alpins, situation à la fois stimulante et périlleuse pour un athlète habitué à jouer les seconds rôles. La France navigue dans les eaux troubles de l’entre-deux. Sans Alexis Pinturault, diminué par ses blessures, l’équipe tricolore cherche ses nouveaux équilibres. La jeunesse française montre des signaux encourageants sans pour autant garantir une révolution immédiate.

L’ombre olympique de Milano Cortina 2026

Cette saison revêt une dimension particulière avec les Jeux olympiques d’hiver de Milano Cortina programmés du 6 au 22 février 2026. Les épreuves masculines se dérouleront à Bormio sur la légendaire piste Stelvio, temple de la vitesse alpine réputée pour sa technicité redoutable. La Stelvio, longue de 3 230 mètres avec 987 mètres de dénivelé et une pente maximale de 63%, représente l’un des défis les plus exigeants du circuit mondial. Le passage du saut de San Pietro, franchi à plus de 40 mètres avec des atterrissages à plus de 140 km/h, séparera les prétendants des figurants. Cette échéance olympique modifie subtilement les stratégies de préparation. Odermatt, déjà multiple médaillé olympique, aborde cette saison avec la pression du favori absolu sur ses terres alpines. Pour Kristoffersen, c’est peut-être la dernière fenêtre de tir pour décrocher l’or olympique qui lui échappe depuis Pyeongchang 2018. Quant aux outsiders, ils savent qu’une saison peut basculer sur quelques semaines de forme parfaite au bon moment. L’absence de Kilde prive la Norvège de son principal atout en vitesse pure, discipline reine à Bormio. Cette défection ouvre un boulevard aux prétendants dans des épreuves où les hiérarchies peuvent voler en éclats en fonction de l’adaptation à la piste mythique lombarde.

Enjeux d’une saison charnière

Cette saison 2025-2026 s’annonce comme un laboratoire grandeur nature. La domination d’Odermatt peut-elle perdurer face à la lassitude du public et à l’émergence de nouveaux challenges ? Les 37 épreuves au programme offrent suffisamment d’occasions pour que l’inattendu surgisse, même si l’histoire récente plaide pour une certaine forme de prévisibilité. L’absence de Kilde transforme les disciplines de vitesse en terrain d’expérimentation. Les hiérarchies établies volent en éclats, créant des opportunités pour des outsiders qui n’osaient plus y croire. Cette redistribution des rôles pourrait revitaliser des épreuves menacées par l’uniformisation des performances.

Rendez-vous à Sölden

Le glacier de Rettenbach donnera les premiers indices de ces nouvelles dynamiques. Si Odermatt y confirme sa suprématie habituelle, le message sera clair : la saison 2025-2026 ressemblera aux précédentes. Mais le ski alpin conserve cette capacité à surprendre, même quand tout semble écrit d’avance. Les finales de Lillehammer en mars 2026 diront si cette saison aura tenu ses promesses de renouvellement ou si elle aura consacré, une fois encore, la logique implacable des certitudes établies. Entre ces deux extrêmes, le plateau masculin cherche son nouveau visage.